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Journal de citoyen bordelais re-déconfiné et déconfit

Journal de citoyen bordelais re-déconfiné et déconfit

Chronique d'humour parfois noir sur la crise de la Covid-19 (20, 21, 22...) et pour oublier la guerre nucléaire à nos portes


Balade occitane

Publié par Fred Desk sur 18 Octobre 2022, 15:11pm

Le Pont Neuf, Toulouse

Le Pont Neuf, Toulouse

Entre rose de brique, violette de bouquet et bleu de pastel, vingt-quatre heures, mais pas plus, chez la rivale de Garonne

Mon train venu de Paris quitte en fin de matinée l’arche de Saint-Jean  sous le soleil. Déjà, nous glissons sous le pont piétonnier et cycliste de l’impasse des Camps à Bègles et longeons le supermarché où j’étais hier midi pour une collecte humanitaire. Au centre de tri d’Hourcade, un wagon antique erre au milieu des voies désertes, c’est déjà la forêt sitôt passée la gare de Villenave désaffectée. Je repère les équipements de la Junca au Vieux-Bourg, distingue de vieilles bâtisses et autres châteaux, déplore les lotissements sans âme qui dévorent les vignes des Graves. On voit l’autre côté de l’eau, puis j’aperçois la Garonne brune et essaie de deviner les noms des villages qui défilent. Reconnaissant le dôme de l’église de Preignac, je m’agite au passage éclair devant l’ancienne maison de Papi et Mamie, quartier du Maou. Vingt minutes après le départ, je peux m’endormir quand Garona est franchie à Langoun. J’ouvre brièvement les yeux sous le tunnel avant la Réole, me rendors jusqu’à l’Agenais, ne voyant pas Marmande, peut-être au retour ? Les pruniers défilent sous leurs voiles, trois minutes d’arrêt, voie une, correspondance Marseille Saint-Charles pas avant 16 heures et quelques. Nous serons à Toulouse dans une heure, j’ai envie d’une clope, il faudra attendre. Un vieux pont piéton en métal vert et rouille enjambe la gare d’Agen même, coups de sifflet, attention au départ. Une église s’élance sur les hauteurs calcaires, je ne me souvenais pas qu’il y avait des collines alentour. On longe le canal des Deux Mers avec sa jolie promenade rectiligne sur le chemin de halage, devenu piste cyclable ou de décrassage du dimanche. Je pense que chaque jour que le bon Dieu ou bien le hasard font, des trains passent et repassent ici et ailleurs, immuables liens entre les cités et les hommes, emportant marchandises, valises, joies et tristesses.

 

 

Gare Matabiau

Gare Matabiau

Nous quittons le Lot-et-Garonne pour le Tarn-et-toujours-Garonne, quelques nuages, chevaux en liberté, on délaisse le canal, on le retrouve plus loin. J’admire furtivement des propriétés cossues et isolées, traverse des bourgades anonymes vite effacées, cela fait bien longtemps que je n’ai pas pris cette direction en train. Narbonne, il y a 10 ans ? Sans doute. Je finis de démêler mes cheveux que je laisse pousser depuis plus d’un an, en regardant les feuilles des arbres encore bien vertes, dans ma voiture douze des jeunes pianotent rapidement sur leurs portables et devant moi, la main d’un joli bras se pose sur le montant de la fenêtre. On franchit à nouveau la Garonne où deux gars pêchent debout sur une barque, subitement le jingle et l’annonce de l’escale à Montauban nous font sortir de la torpeur du roulis métallique, les jolis bras s’attachent les cheveux au dessus du dossier du siège, je devrais en faire autant.  Il commence à faire chaud. La passagère a un élégant tatouage à l’intérieur de l’avant-bras gauche, je me demande pourquoi les gens : 1. se font autant tatouer 2. parfois à des endroits où ils ne voient même pas leurs propres oeuvres 3. ce doit être pour faire plaisir aux autres 4. chacun ses goûts, tais-toi. Je vais pisser, j’ai bien visé le trou, il y a dans le couloir une dame avec un labrador comme le mien, mais avec muselière, pauvre toutou. Tatouage dans le bras diaphane a baissé le rideau sans raison valable, je dois me vautrer sur les sièges, me contorsionner et me pencher pour voir le paysage. Elle s’en fout pas mal, lit son bouquin et se fait machinalement des anglaises du bout de ses doigts au vernis rouge qui se barre en cacahouète. Voilà les églises en brique, bienvenguda, aci, c’est la Haute-Garonne, banlieue toulousaine, ongles à refaire urgemment relève un peu le rideau, je me redresse enfin. J’aurais dû couper les miens, ce sont des griffes, voici le Hourcade du coin avec ses wagons citernes, puis machinville, Aucamville pour être précis, le train ralentit. Nous arrivons à Matabiau, terminus, ok je descends. Ce n’est pas la bonne sortie et il y a un zef turbulent à décorner les bœufs. Le vent d’Autan en emporte le vent de Mistral (l’autre Frédéric, avec Chopin et mézigue).

 

Place du Parlement

Place du Parlement

« Boudu ! »

 

Au « chez Jazz, cuisine populaire », la saucisse de Toulouse est en fait une paire de chipolatas vulgaris qui mériteraient des huîtres du Bassin, mais peu m’importe. La bière ambrée de la Garonnette est gouleyante et m’apporte une légère ivresse bienveillante. En embarquant à la Daurade à bord des Bateaux Toulousains pour passer l’écluse Saint-Pierre et remonter le charmant canal de Brienne rejoignant celui royal du Languedoc, j’apprends que son architecte, Pierre Paul Riquet, était Biterrois, même si le monde s’en fout. Mais aussi qu’une mirande est un étage sous les toits pour faire sécher le pastel des étoffes. Et qu’en pays de cocanha, plus tu dors, plus tu gagnes. Eh, pardi, c’est le paradis. Sur la prairie des Filtres, en bord de Garonne, les premiers aéroplanes ont fait leurs périlleuses gammes. C’est désormais un lieu de promenade et de festivals, comme le fameux latino Rio Loco. Les dégueuloirs du vieux Pont Neuf préservent des crues destructrices. Il faut bien reconnaître au passage que la vieille ville de Toulouse est superbe, avec ses places accueillantes,  rues commerçantes et nombreux estaminets. C’est bien là le Midi, porte de l’Espagne et de la Méditerranée. En terrasse, on respire le Sud à pleins poumons et on écoute l’accent qui le chante. En revanche, sur la rive droite, les bords de Garonne ont un air de quais de Seine, avec leurs artistes et bouquinistes adossés au parapet. Il paraît que, cet été, le pont Saint-Pierre de métal et de béton était fermé à la circulation pour faire une pause ou s’y installer sur un mobilier urbain convivial. Toulouse et Kyiv sont jumelles depuis 1975, la métropole se mobilise pour venir en aide aux réfugiés ukrainiens et le revendique sur ses murs de brique. La croix occitane au secours du trident d’or.

 

Bitte d'amarrage

Bitte d'amarrage

En ce moment, on parle beaucoup de Van Gogh aux « nouvelles », des militants écologistes ayant aspergé de tomato soup les Tournesols à Londres. Il se trouve que le peintre maudit est, pour encore un mois, en vedette immersive aux espaces Bazacle, la centrale hydroélectrique au coeur de la ville. Deux gamines  révisent leur chorégraphie aux yeux de tous devant le fleuve et rue Peyrolières, au coeur du quartier Esquirol, le « fast good » Madame Poutine propose la spécialité québécoise et surtout pas russe. Au gothique méridional couvent des Jacobins, l’entrée du cloître est substantiellement payante, tant pis pour le trésor de l’église. En flânant dans le quartier chic, je repère une droguerie à l’ancienne fondée en 1806, dont la devanture récemment repeinte en bleu pastel et certainement les odeurs de la boutique avec « tout pour la maison » me rappellent à viste de nas celle de mon grand-père à Marmande. C’était au siècle dernier, je ne l’ai pas connue, mais je sens la gémellité. J’ai virtuellement le parfum de l’huile de lin dans les  naseaux en m’éloignant vers les Carmes. C’est lundi, jour de fermeture. Et puis il faut rebrousser chemin pour rejoindre la célèbre place du Capitole, son balcon, cher aux fous du « Stade », ses arcades, le tout aux allures de plaza mayor. À l’arrière, près du donjon, une statue grandeur nature de la grande vedette à petite taille Claude Nougaro vous invite à naviguer entre jazz et java. Une connasse nous dit que la place sur le banc public est « réservée », on va plus loin en se foutant d’elle. Des zonards se font contrôler par la police municipale. Les enfants jouent à l’ombre des grands arbres dans le square Charles de Gaulle. En quittant la ville rose sans toujours emporter de produits dérivés de violettes, on peut traverser sur le périphérique la cité Airbus, ses nombreux immeubles d’études et de bureaux, puis ses hangars à A 300 et quelques. Un ATR franco-italien à hélices est souvent stationné tout près. Un beluga peut accaparer le ciel. Je ne connais pas la Cité de l’Espace, j’irai un jour avec mes enfants.

Rue du Languedoc

Rue du Languedoc

 

« Oh dion ! »

 

Puisque je ne suis pas d’ici, il me faut bien repartir sans même avoir vu de match, en apercevant successivement et dans le désordre les panneaux Ernest Wallon, Sept Deniers ou Stadium. À l’abri du vent chaud, un rapide coup de métro me ramène à la gare. En provenance de Massilia, l’Intercités autrefois appelé Mistral va  nous emporter vers ma Gironde. Un autre part pour Perpignan, ils me font me souvenir du train Corail de ma jeunesse qui mettait cinq heures pour aller de Bordeaux à Austerlitz ou du train avec ses compartiments à couchettes vers la Côte d’Azur. L’aspect extérieur de la locomotive et du convoi n’a pas changé. Il y a juste le wifi en plus. Le sommeil s’empare de moi à peine partis. Comme à l’aller, je me réveille à Agen, où l’arrêt dure davantage que prévu. Nous aurons du retard suite à « un incident technique sur un TER qui est passé devant nous ». Il ne faut pourtant pas essayer de doubler, lorsqu’on conduit un train. Je fais un instantané à Port-Sainte-Marie, le soir s’avance et notre wagon de queue est secoué comme un prunier, avec force vibrations désormais absentes dans les modernes TGV. On traverse Aiguillon à fond, je vois un Jésus en croix sur son tertre à Nicole, Tonneins est avalé, le coucher de soleil fait des oeuvres dans les nuages. Marmande est annoncée par des tunnels de tomates en serres, mais sitôt dépassée, sans même apercevoir la gare de mes aïeux. Quelques bagnoles patientent, phares allumés, aux passages à niveau automatiques. Le chef de bord donne les horaires des futures correspondances vers Morcenx, Ychoux et Facture-Biganos. J’ai envie de pisser, mais les toilettes sont à l’autre bout du wagon. Je prends une photo depuis l’arrière du train où un mec roupille par terre. En déboulant dans La Réole, un écart m’envoie contre la porte, c’est d’accord, je retourne m’assoir.

 

 

Village de Bruch, Lot-et-Garonne

Village de Bruch, Lot-et-Garonne

La nuit tombe sur Saint-Macaire et à Langon, la Garonne a grossi. Mais je n’ai pas le temps de la prendre sur le pont, c’est déjà le château de Malle à gauche, puis la maison du garde barrière du Maou à droite. L’appli sncfconnect m’informe pour la troisième fois que le train dans lequel je me trouve sera en retard à destination. La com progresse, peut-être même trop, maintenant. On devrait être arrivés au Port de la Lune, il nous reste à remonter le Sauternais et les Graves. Un éclair dans un gros nuage blanc qui monte dans l’Entre-Deux-Mers, et moi qui dois faire à pied les vingt minutes qui séparent la gare de chez moi, il faut que la foudre et les grosses gouttes attendent. Pluie et tonnerre sont prévus ce soir, il fait 24 degrés à Cadillac, en fin de journée, mi-octobre. Beautiran est dans la pénombre, les dernières forêts et derniers champs passés en revue illico, ce n’est pas la micheline rouge et blanche qui s’arrêtait à chaque gare pour aller voir « Mamie des poules » à la campagne. À Cadaujac, on ralentit un peu, à Villenave d’Ornon on freine carrément, dans une odeur de brûlé ferreux. Des gamins apprentis footeux s’entraînent sur un rectangle vert généreusement éclairé. Enfin les lumières de la ville, celle de l’antenne-relais clignotante de Bouliac, je détourne le regard des bosquets derrière le Dorat avec sa zone sensible et humide coincée entre rocade, centre commercial et gare de tri. Après la gare de Bègles, si je tire sur le signal d’alarme, je pourrais descendre et rentrer rapidement chez moi. C’est la fin du voyage, les gens se pressent dans l’allée centrale et moi, j’ai un besoin de plus en plus pressant. On passe lentement sous le nouveau pont de la Palombe et le vieux du Guit, je range mon portable preneur de notes et d'images jusqu’à la prochaine escapade subjective. Nota bene : la gare de Bordeaux est beaucoup plus belle et bien plus grande que celle de Matabiau, de surcroît sa ferraille est d’un bleu pastel carrément toulousain.

Balade occitane
Près de Tonneins

Près de Tonneins

Donjon du Capitole

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