Récit d’une traversée de la forêt des Landes de Gascogne
Un matin d’août, je me suis éloigné de Bordeaux par le sud, ma direction de prédilection, pour emprunter la « 113 », cette vieille route nationale qui remonte la Garonne dans cet environnement campagnard dont nous sommes presque tous originaires. Cap sur la succession de villages en chapelets forçant le citadin pressé à ralentir, ses chemins étroits devenus lointains voire étrangers après l’exode rural. Quand j’étais enfant, et des décennies plus tard j’en ai encore la prégnante sensation, cet apparent désert vert et paille, dans sa quiétude nostalgique, m’attirait et m’inquiétait en même temps, recouvert de vignobles taillés au cordeau, clairsemé de vieilles publicités pour les apéritifs Dubonnet ou Lilet (oui, avec un seul « l », à l’époque) et de machines agricoles rouillées laissées à l’abandon. Nous le traversions de temps à autre pour rendre visite à « Papi et Mamie », à Preignac, dans le Langonnais. Ce sont désormais les lotissements de néo-ruraux qui grignotent les parcelles, autrefois réservées aux châteaux des disciples de Bacchus, dans ces terroirs prestigieux pour le monde entier au nectar inaccessible pour les locaux, à moins d’une combine de derrière les fagots de sarments. Peu de grands liquoreux à siroter, mais les laborieux du cru peuvent déguster gratuitement la beauté des gorges du Ciron, l’or des sables, qui prend sa source dans les Landes de Gascogne.
Fi de digressions passéistes, j’ai donc rejoint après le passage de la pluie la nouvelle commune célèbre, Landiras (avis aux journalistes parisiens, chez nous, il faut tout prononcer jusqu’au bout, par exemple Moustey, c’est comme « bouteille »). Elle était seulement connue des initiés de la vitisphère pour accueillir l’usine d’embouteillage des Grands Chais de France, autoproclamé premier négociant européen, et le domaine qui produit le vin le plus cher du monde, paraît-il. Je me suis souvenu que la bourgade était ma limite extrême, morne et sans intérêt (pas pour les courtiers, dont faisait partie mon papi !), tandis que je parcourais en long, en large et en travers les chemins vicinaux des Graves et du Sauternais sur mon bicloune, près de l’autoroute en construction vers Toulouse et Marseille. Je logeais alors quelques jours chez les grands-parents Vigouroux, quartier du Maou, entre chemin de fer et Château de Malle. C’était il y a longtemps, au siècle dernier, revenons donc enfin à ce qui a préoccupé notre été brûlant.
Le 12 juillet 2022, lorsqu’un immense panache de fumée grisâtre s’est élevé dans le ciel azur, m’attirant depuis le comté d’Ornon où je vaquais sous l’écrasante canicule en fin d’après-midi, je me suis approché à « viste de nas » dans le vignoble de Pessac-Léognan et des Graves jusqu’aux portes de la « pinhada », via La Brède et Saint-Michel de Rieufret. D’emblée, le sinistre était visiblement d’ampleur. À Manine, hameau perdu en partant vers Cabanac, autre commune autrefois sans attrait devenue ostensiblement rurbaine, la route de Guillos était fermée par la maréchaussée. Les habitants sortaient de leurs maisons, interrogeant le ciel et les passants, chacun se perdait en conjectures. « Y’a le feu. » « Ça a l’air grave. » « Avec ce canha, tu parles ! » Les voitures s’immobilisaient sur le bas-côté, déversant des occupants incrédules et inquiets. Le vent étant d’est, le village limitrophe entre monocultures du raisin et du pin semblait hors de danger, la fumée partait de l’autre côté, vers la Haute-Lande. J’ai appris plus tard que les Maninois ont été parmi les premiers à quitter leurs pénates pour une mise à l’abri préventive.
Je me souviens d’un arrêt pipi entre Saint-Selve et Cabanac au son des grillons et désormais des cigales, d’une clope soigneusement écrasée dans un chemin sablonneux terrassé par la chaleur, d’un vent de terre soutenu et en rafales, de la vision de ce brasier déjà d’envergure à quelques kilomètres à vol d’oiseau affolé. Je suis vite retourné sur mes pas pour rejoindre mon véhicule garé en bord de route étroite, où le goudron fondait par endroits. J’ai rangé mon mégot dans le cendrier de plage, imaginant les scénarios les plus évidents : une cigarette jetée par un inconscient ou un départ de feu criminel. Mon parcours étant suspect, le moteur hybride m’a aidé à quitter les lieux discrètement, retrouvant aussitôt la route toute droite du retour vers la ville. Du côté de Beautiran, une ligne de crête m’a permis d’apercevoir le panache de l’autre feu du jour, à la Teste, derrière la Dune, dont parlait principalement la radio d’information continue. Il était moins grand, mais plus médiatique, quoique tout aussi dramatique, notamment pour Cazaux, où les flammes ont quelques jours plus tard passé une butte, survolant la baraque d’un copain, laissée intacte, pour aller brûler le resto de plage au bord du lac. Là, sans combustible ni comburant, elles ont enfin arrêté leur course folle initiée près de l’océan pour achever d’anéantir cet autre entre-deux mers. Il faudra des décennies pour retrouver la belle forêt domaniale de Buch (rappel : tout prononcer, même dans sa Teste).
Je me souciais déjà du sort réservé à la maison des copains d’Origne ou de Belin et à l’airial de mon pote de jeunesse sur la route de Cés, près de Saint-Magne, même si l’incendie de Landiras, devenu le « 1 », en était encore assez éloigné. Le lendemain, un Canadair a survolé ma rue entre Bordeaux et Bègles, une brume gris clair barrait l’horizon Sud, occultant la énième tempête de ciel bleu de juillet et une chaleur étouffante régnait dès le matin. Parti prendre l’air du large au Cap Ferret et faire baisser la température de quelques degrés, j’ai vu depuis la quatre-voies entre Saint-Jean d’Illac et Lanton les deux nuages de fumées des feux défrayant la chronique estivale se rejoindre au loin. À la croix des marins, dans le virage de Claouey où le panorama du Bassin se dévoile sur quelques dizaines de mètres, c’était encore plus évident : tout l’Est à l’arrière d’Audenge et d’Arcachon était recouvert d’un brouillard monstrueux.
De la fumée sale semblait sortir de la Dune du Pilat, si claire et majestueuse quand elle descend dans la mer. Le soir venu, interrompant les ballets aériens qui déversaient le produit rouge retardant et l’eau du lac de Cazaux ou de la passe nord, le spectacle à la Pointe était celui de volcans silencieux déchirant la nuit derrière Arguin et les Gaillouneys, où s’envolaient souvent les parapentes. L’ambiance était inédite et incandescente, les curieux tendaient leurs portables au dessus des gourbets (les oyats, herbes qui tentent de fixer les dunes) pour immortaliser la scène dantesque, oscillant entre fascination et dépit. Les vents dominants avaient tourné, venant du Nord-Est. Tout comme les grands chais de Landiras, le Pyla-sur-Mer était sauvé, mais pas les campings et les plages sud, le Petit Nice, la Lagune. On sait ce qu’il en est advenu peu après : le feu a débordé les hommes du feu.
J’ai donc refait le même parcours en août, par Saint-Selve et Saint-Michel de Rieufret. À Manine, la route vers Guillos était ouverte, comme avant. Les habitants avaient repris leurs habitudes depuis plusieurs semaines, et je venais, à l’instar de l’estivant voyeur, constater les dégâts de Landiras 1 et désormais 2, cette terrible reprise de feu de début août. Elle avait fini de dévaster la forêt du Sud-Gironde, sur un total de quarante longs kilomètres du Nord-Est au Sud-Ouest, jusqu’aux portes du lieu-dit landais qui m’a donné son nom, Descoubes. Étymologiquement, c’est là où pousse l’escoba (prononcer « escoube »), genêt à balais aux jolies fleurs jaunes. Fin août 1949, lors du grand feu qui avait pris à Saucats, où était né mon grand-père paternel (aucun lien entre les deux événements), les gens luttaient contre les flammes avec de dérisoires branches, notamment de genêts, résultat : 52 000 hectares ravagés et 82 morts. En 2022, pas de mort humaine, mais une faune dévastée et près de 28 000 hectares partis en fumée.
En cette fin du mois d’août, depuis Manine, au début, les abords de la route de Troupins étaient intacts, mais j’ai découvert rapidement l’évidence, le vert avait quasiment disparu au profit d’un brun sombre. Le hameau près du lac du même nom avait été encerclé par les flammes, nées tout près de main d’homme, comme le pensaient les enquêteurs dès les premières heures du sinistre. Le 7 juillet, déjà, des départs de feu avaient été constatés à proximité du lac. Une odeur de mauvais brûlé, des buttes noires, une forêt rousse, des sous-bois calcinés où la nature a repris quand même vie un mois après : j’ai repéré avec soulagement quelques repousses de chênes, d’herbes et de fougères. À Lahon, hameau de Guillos préservé par les efforts des pompiers, la première banderole accrochée au grillage : « Merci pour tout », écriture enfantine, avec un coeur rouge dessiné à gauche. Le feu s’est arrêté aux portes des maisons, à la lisière des airials, ces traditionnels espaces pare-feu, mais il a tout ravagé alentour, et c’est à perte de vue. J’ai croisé un premier véhicule de pompiers au lieu-dit Le Luc, sur la route de Louchats. C’était un Land Rover de Saint-Sulpice, et-Cameyrac ? ou de-Faleyrens ? ou encore d’ailleurs ? Ils sont venus de partout, même de Roumanie et de Polynésie. Un camion de pompiers est sorti d’un sentier du côté de Pussac, dans la commune de Louchats, où la verdure a subsisté jusqu’aux limites du village. J’ai aperçu quelques moutons à l’ombre d’un saule pleureur, près de la route des Graves. Entre deux bourgs, mon téléphone ne captait plus rien, des relais étant hors service.
Meurtrissure et dôme de chaleur
Après, c’est confus, mes souvenirs s’entrechoquent, j’étais troublé par le spectacle désolant et je me sentais tout petit au coeur de ce massif méconnaissable. L’oeil ne s’habitue pas à ce spectacle, et gardant les coins de mes ancêtres pour la fin, mon inquiétude allait croissante. Je suis passé au dessus du Gât Mort (« le chat décédé »), affluent de la Garonne venu d’Hostens, préférant ne pas imaginer le triste paysage autour de ses lagunes aménagées à Saint-Magne. J’ai soufflé « N’y a pas que le gât qu’es mort ! », les animaux ont décampé ou cramé sur place. L’odeur âcre de la nature meurtrie a repris de plus belle en approchant d’Hostens. J’ai laissé le bourg de Saint-Magne à deux kilomètres sur la droite, les pourtours des lacs du Castéra et du Bousquey étaient encore intacts, mais inaccessibles pour longtemps, tout comme les lacs du Bourg, de Bernada et celui de Lamothe, prisé des baigneurs girondins. La « logistique » de la lutte contre les reprises d’incendie s’est installée pour de longues semaines sur les parkings bondés en été du domaine départemental, interdit au public jusqu’à nouvel ordre. Aucun répit dans la surveillance n’est prévu avant l’arrivée des pluies d’automne.
Une nouvelle banderole disait encore et toujours « merci » dans plusieurs langues, dont l’une slave, sur le carrefour devant la salle des fêtes, lieu de ralliement au plus fort du sinistre, pour tous, habitants, bénévoles, professionnels, autorités, employés municipaux, départementaux et du Parc des Landes de Gascogne, journalistes et soldats du feux. Encore aujourd’hui, on y entrepose les bouteilles d’eau à distribuer aux nombreux pompiers chargés de surveiller l’immense massif. « Mais pas de ricard ! », a lancé un gars qui chargeait des packs dans une camionnette de la commune. De nombreux véhicules rouges estampillés SDIS (service départemental d'incendie et de secours) se croisaient et se saluaient pour certains, il y avait des regards vigilants, mais quelque peu blasés, chacun vers son objectif, sa mission, sa tâche, son quotidien, loin de l’actualité de la rentrée et des caméras rentrées dans les capitales sans se retourner. Une actualité chasse l’autre, pour le meilleur et le pire, faisant de nous des sur-informés amnésiques. J’ai pris de quoi grignoter à l’alimentation où j’ai été bien accueilli, j’ai fait descendre le chien, resté sage à l’arrière pendant mon périple, on s’est dirigé vers les pissotières entre l’allée du foirail et la rue des lacs, on a trouvé un robinet, puis on a repris la route vers Haudoua. C’est par là que le feu a repris début août. J’ai tourné vers Joué, aux Arroudeys (charrons en gascon, les garagistes d’avant le moteur à explosion), où ils ont eu chaud aux roues, j’ai croisé des camions citerne rouges immatriculés dans les Deux-Sèvres roulant à vive allure, je me suis arrêté à quelques hectomètres d’un utilitaire d’ERDF, on réparait les lignes, j’étais dans le silence de la forêt, sans chants d’oiseaux, un petit vent soufflait dans la lande désolée. J’ai songé que la Grande Lande allait bientôt retrouver sa silhouette horizontale d’avant Brémontier, immortalisée par notre poète-photographe-ethnologue landais Félix Arnaudin.
Je me suis arrêté au pied d’un château d’eau encerclé de troncs calcinés, tel un moulin de Don Quichotte aux ailes brûlées, et j’ai ressenti le deuil. La lourde histoire dont ici on se souviendra était sous mes yeux. Pins, chênes, genêts, ajoncs, bruyères, fougères, acacias, frênes, bourdaines, arbousiers, ronciers, sureaux, lichens, tout a disparu, il ne reste que des « pinhots », mats noirs de toutes tailles, beaucoup surmontés d’une affreuse houppe rousse, des écorces carbonisées, une terre sèche et poussiéreuse, comme si une éruption volcanique avait ravagé la lande. Alentour, ni fumerole, ni fumeron, mais le feu, s’il a été fixé, puis maîtrisé, surtout grâce à une météo moins sévère, n’était pas encore déclaré totalement éteint.* Les chemins de graves estampillés DFCI (défense des forêts contre l’incendie) s’enfonçaient dans le paysage lunaire, quelques bouches d’incendie rouge pâle attiraient le regard sur les bords de routes, où les bornes et plots de virages ont fondu. La forêt est interdite d’accès, les arbres calcinés risquant de tomber. Il faudra tout couper, que fera-t-on de ces cadavres ? De la pâte à papier ? Du bois de chauffage ? Du charbon ? Hortense en 1987, Martin en 1999, Klaus en 2009, le massif épargné dans la dernière décennie par les tempêtes aura connu un nouveau fléau en cet été de canicule comparable à celles de 1976 et de 2003. Cette année, les incendies de Landiras 1, 2 et de La Teste, ont le record d’hectares brûlés en France. La mémoire girondine des dernières décennies retient notamment les feux entre Le Porge et Lacanau en 1989 ou entre Pessac et Illac en 2015, et au Tuzan en 2020, mais en 22, comme en 49, ce sont bien des « méga-feux », similaires à ceux auxquels on s’était habitué dans le Sud-Est et en Corse. Des Canadairs vont devenir gascons à demeure.
Ces ballets de lourds bourdons jaunes et rouge à hélices, je les regardais avec fascination quand j’étais enfant, installé sur la digue derrière la gendarmerie de Saint-Tropez, glissant quelques secondes sur l’eau du golfe et s’arrachant à la Méditerranée pour venir au secours du massif des Maures. Les as de la Sécurité civile prennent maintenant l’eau à nos portes, du matin au soir, inlassablement et à la queue-leu-leu, sur la Garonne entre Cambes et Beautiran, à Cazaux ou même entre Dune et Arguin. Notre monde est en « stress hydrique », tout cela pour ne pas dire que cette planète abimée par l’homme a de plus en plus soif. Tout passe « en mode dégradé », comme on dit quand ça pète de tous les côtés, mais qu’on ne peut pas le dire franchement. J’oscille entre colère contre l’inconséquence humaine et reconnaissance pour ceux qui ont lutté jour et nuit contre le sinistre, avec leurs moyens et leur bonne volonté. Ces « héros » sont victimes de leurs semblables, en l’occurence peut-être exactement l’un des leurs, comme plus tôt dans l’été à Soulac-sur-Mer, ou à Gignac dans l’Hérault. Des sapeurs-pompiers volontaires pyromanes y ont sévit, nuisibles ultra-minoritaires, malades compulsifs, ou juste stupides, cherchant à toucher la prime d’intervention, dite « de feu ».
J’ai mordillé nerveusement le capuchon de mon stylo en approchant de Joué. C’est dans ce hameau de Belin-Béliet, ainsi que dans celui de L’Ambéliet, au sud, que 6000 hectares sont partis en fumée en une nuit, emportant dix-sept maisons dans une fournaise évaluée à 1000 degrés. Les secours étaient impuissants face au brasier, « un mur de flammes », « arrivé d’un coup », « un enfer », d’après le Bélinétois David contre Goliath sur France Bleu. Ce coin que j’arpentais depuis des années, surtout depuis que j’y ai retrouvé de nombreuses racines, prenait feu lui aussi, en cet été catastrophiquement incandescent. À l’ancienne gare, devenue gîte et halte sur la jolie piste cyclable, voie verte qui a remplacé les rails du tortillard du Sud-Gironde, cinq véhicules de pompiers étaient stationnés sous les arbres, les troupes pique-niquaient. Au stop, gorge serrée, j’ai pris la familière direction de Biganon, le village des Descoubes, en passant par la clairière de la chapelle Saint-Blaise, écrin seulement et miraculeusement léché par le monstre, où quatre nouveaux camions rouges étaient garés en étoile, la position de lutte à 360 degrés contre les flammes. Un pompier était assis par terre, il devait digérer son sandwich. Au premier carrefour de la route de la Huillade, qui rejoint les Landes, je suis descendu pour cueillir une mûre, bien mûre, et j’ai regardé vers Boutox, autre hameau ancestral encerclé, mais dont les maisons ont été sauvées de haute lutte.
J’approchais du Bouron, ou ruisseau de la Hountasse, petit affluent de la Leyre, des Descoubes y étaient meuniers au XIXème siècle. Je me suis arrêté après le petit pont enjambant la discrète rivière venue d’Hostens. Seules les berges immédiates étaient préservées, confirmant ce que j’avais vu sur les images satellite. Le feu a sauté par dessus le cours d’eau et s’est propagé vers le sud. Les feuilles de chêne tombaient, la terre était grise, un corbeau m’a glacé le sang, j’ai pensé aux pauvres abeilles des ruches installées tout près, il y avait des fils au sol, des poteaux consumés, j’ai fait quelques photos qui ne rendaient pas vraiment compte de la tristesse en trois dimensions de ce spectacle, et j’ai rejoint Peyrin, lieu-dit de Biganon, désormais hameau de Moustey. Le feu a été arrêté peu après la limite entre Gironde et Landes, Descoubes est sauf, mais on y aperçoit au loin les cimes rousses. Au sol, tout était vert, à part les bruyères brûlées par le soleil, j’ai renoncé à me rendre à Capsus et à Mano, j’en avais assez vu. Dans le bourg, le cours du Grand Arriou était très bas, la Haute-Lande croulait sous la chaleur, il faisait 35 degrés en milieu de journée, ça allait encore grimper. « Pourvu que le ou les fous ne recommencent pas », me dis-je. Au bout de la route des « Jacqueyres », chemin de Compostelle, deux camions rouges filaient vers Belhade. Nous sommes descendus près d’Hourc d’Eyre, la fourche où la petite et la grande rivières de la lande propices au canoë se rejoignent, avant de courir vers le Bassin d’Arcachon en sillonnant la forêt galerie. Le chien s’est baigné, je me suis trempé les « garailles », l’eau était fraîche, une libellule a virevolté. Vers l’ouest, un pin maritime immense déchirait le ciel.
- N’en déplaise aux climato-sceptiques et pollueurs de tous bords, ce désastre, équivalent à celui qui touche la Californie, est la preuve du dérèglement climatique irréversible causé par les émissions de gaz à effet de serre. Dans une météorologie contre nature, nos trois épisodes de canicule en deux mois ont été causé par le phénomène suivant : une dépression sur l’Atlantique, bloquée par l’anticyclone des Açores, fait un effet de pompe à chaleur et renvoie de l’air sec et chaud depuis l’Afrique du Nord vers la France. La monoculture du pin est-elle désormais inadaptée à nos latitudes ? On redécouvre également que le sol landais est tourbeux, charbonneux, chargé de lignite, ces spécificités du terroir étant propice à la diffusion sournoise de feux dits « zombies », couvant sous la terre. Cet été, il a fait jusqu’à 43,2 degrés en Sud-Gironde et 43,4 dans le Nord des Landes… en état de cuire. Selon un spécialiste américain interrogé par L’Obs fin juillet, « les méga-feux nous font basculer dans une ère nouvelle. Une forêt ne peut renaître de ses cendres que si les conditions climatiques et écologiques n’ont pas changé. Or tout est en train de changer. Désormais, le feu va donner naissance à de nouveaux paysages, qui devront s’adapter à un climat changeant, et non pas à un climat stable. »