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L'épidémiologiste Simon Cauchemez, 42 ans, est directeur de l’unité « modélisations mathématiques des maladies infectieuses » à l’Institut Pasteur. « Monsieur projections » du Conseil scientifique, il est chargé d'analyser comment l'épidémie pourrait évoluer dans les prochains mois. Voici les extraits les plus importants de son entretien du 3 décembre avec France Info.
Pourquoi le travail de prédiction est-il impossible pour ce coronavirus ?
Nous sommes face à un phénomène inédit. Lorsque l'épidémie de Covid-19 repart de façon importante, des mesures de contrôle sans précédent peuvent être mises en place. Et même sans ces mesures, la population peut changer son comportement d'elle-même. Tout cela rend l'épidémie très difficilement prévisible. Tout le monde voudrait un peu de certitude. Or, dans le contexte actuel, malheureusement, nous n'avons pas beaucoup de certitudes.
Vous publiez pourtant des projections sur la manière dont l'épidémie peut évoluer…
Nous ne sommes pas en mesure de prédire ce qui va se passer. Tout ce que nous pouvons faire, c'est projeter des scénarios. Toute la difficulté de la communication autour de ces projections, c'est que nous disons : « Voilà où nous en serons si rien ne change. » Mais attention ! Ce scénario peut évoluer si nous changeons nos comportements.
La projection à 400 000 morts, si aucune mesure de contrôle n'avait été prise, est régulièrement critiquée. Que répondez-vous à ceux qui contestent ce chiffre ?
A la suite du premier confinement, nous avons eu 30 000 morts pour à peu près 5% de la population infectée. Aujourd'hui, nous sommes à 50 000 morts avec, sans doute, autour de 10% de la population infectée. Avoir autant de victimes, en dépit de tous les efforts mis en œuvre, montre que le virus peut faire beaucoup de dégâts. Dans ces conditions, je ne vois pas comment les projections à plusieurs centaines de milliers de morts peuvent encore être contestées. Il suffit d'appliquer une règle de trois.
Les plus sceptiques critiquent justement ce raisonnement par la règle de trois, qu'ils jugent trop simpliste.
En utilisant des modèles bien plus complexes qui prennent en compte les dynamiques de transmission entre groupes d'âge et le gradient de sévérité avec l'âge, nous arrivons aux mêmes ordres de grandeur. Quoi qu'il en soit, avec l'arrivée du vaccin, la stratégie de l'immunité collective, qui consiste à laisser le virus se diffuser dans la population, n'est plus défendable, dans la mesure où la vaccination devrait permettre d'atteindre cet objectif tout en évitant un grand nombre de morts.
Peut-on espérer une sortie de crise dans les prochains mois ?
La mécanique de l'épidémie est assez simple. Tant qu'il n'y aura pas un niveau d'immunité suffisant, le virus continuera à circuler. Nous pensons qu'il s'arrêtera avec 50 à 70% de la population immunisée. Mais nous en sommes encore très loin. Les vaccins nous donnent un véritable espoir. Et les premiers résultats sont très encourageants.
Une troisième vague est donc encore possible ?
Il peut y avoir une troisième vague, si nous ne réussissons pas à bien contrôler la sortie du confinement. Une question importante est de déterminer comment tenir jusqu'à ce que suffisamment de personnes soient vaccinées. Nous n'allons pas avoir assez de doses dès le mois de janvier pour l'ensemble de la population. Il va donc falloir continuer à mettre en œuvre des mesures pour limiter la circulation du virus pendant une partie de l'année 2021.
La crédibilité du discours scientifique semble avoir été entamée par la crise du coronavirus. Qu'en pensez-vous ?
C'est clairement une inquiétude. Pendant cette crise, beaucoup d'experts sont intervenus sur les plateaux de télévision pour dire des choses très contradictoires.
C’est le moins que l’on puisse dire !
FD