Chronique-billet d'humour autour de la crise de la Covid-19 (20, 21...)
13 Avril 2020
S1E28
Lundi de Pâques, route de Bordeaux au Ferret, départ à midi trente : le litre d’essence dépasse de peu l'euro symbolique et c’est un bouchon lorsque quatre voitures sont arrêtées à un feu rouge devenu inutile. Des ronds points déserts traversent des zones vidées de leurs activités. Avant d’entrer sur la rocade, un affichage lumineux remercie les héros du quotidien. Les feuilles des arbres sont d’un vert si clair qu’il paraît fluorescent. On aperçoit trois avions orangés d’Easy Jet en rang devant l’aérogare, pour longtemps cloués au sol loin de leur base britannique. Une Renault 19 immatriculée dans la Seine-Maritime double à vive allure en pleine agglomération. Supposition : ce sont des Rouennais de la zone B passés au travers des mailles du filet de la maréchaussée et pressés de rejoindre nos plages interdites.
Des enfants font du vélo sur le parking sans voitures d’un centre commercial. Les chantiers sont à l’abandon, une banderole sur la porte d’une église proclame « Alléluia Christ est ressuscité ». À l’aller, il n’y a aucun flic sur le bas-côté. Les panneaux électoraux sont restés en place, avec le sourire figé des candidats aux mairies. C’est comme si une bombe à neutrons avait éliminé la population, laissant tout le reste intact, mais désincarné. Soulagé, Roméo Elvis chante que le soleil renait dans sa vie et provoque une courte pointe à beaucoup plus que les 110 kilomètres à l’heure autorisés. Un rapace imprudent déjeune au milieu de la chaussée, il tarde à décoller, son envol est trop lourd et sa grande envergure brune échappe au pare-brise in extremis. Les animaux ne se méfient plus assez de nous.
Le traiteur de Piquey a préparé un roboratif gigot d’agneau aux haricots tarbais et la glace à la fraise de Patachou mérite le détour. Une balade dans le village des pêcheurs et on se sentirait presque en vacances. Au retour, les forces de l’ordre briseuses de rêve contrôlent les véhicules aux deux extrémités de la voie rapide. Un gendarme sans masque, mais avec lunettes de soleil, lit de loin l’ausweis et flashe le QR code. « Allez-y, bonne soirée ». Bob Marley, John Lennon, Madonna Ciccone, Peter Gabriel, les radios du bassin d’Arcachon ont la nostalgie des printemps plein de promesses. Sur cette départementale rectiligne si familière, c’est d’abord un plaisir de prendre la route, de voir défiler le paysage et de retrouver les trajets d’antan durant seulement quarante cinq minutes. Cependant, l'émotion cède le passage à un malaise diffus dû à ce calme inquiétant, triste, menaçant. Il faut rentrer à temps dans le cocon citadin pour écouter la Marseillaise, le Président et sa feuille de longue route vers l’été.
FD