Chronique-billet d'humour autour de la crise de la Covid-19 (20, 21...)
27 Mars 2020
S1 E11
Ce soir, je reviens sur cette situation si pesante et tellement invraisemblable. Il y a deux mois, nous regardions de loin, voire de très haut ce qui se passait dans le Hubei. L'émergence d’un nouveau virus et d’une épidémie en Asie n’était qu’une information parmi tant d’autres. « La grippe saisonnière tue des milliers de gens chaque année et on n’en fait pas toute une histoire. » L’idée d’un confinement strict à Wuhan, piège spatial et mental pour des millions d’habitants, n’avait pas de prise réelle sur nos esprits distraits. Nous ne nous mettions pas, ou si peu, à la place de ces gens aux mœurs étranges qui ne mangent pas les mêmes animaux que nous. Cela ne risquait pas de nous arriver. Comment nos propres rituels et routines pourraient-ils subitement s’interrompre ? Impossible. C’était inimaginable que cessent école, travail, mobilité, loisir, culture, sport, lien, tout ce qui fait de nous des animaux sociaux. Nos générations nées après-guerre mondiale n’étaient pas du tout préparées à cela. Cela roulait plus ou moins bien dans notre vie post-moderne, mais rien ne pouvait vraiment bouleverser ce bas monde, à moins que le ciel nous tombe sur la tête. Demeurant incrédules, nous avons vaqué à nos occupations, poursuivi nos objectifs, vécu le quotidien sans crier gare, ne nous méfiant pas de nos certitudes. Comme dans une veillée d’armes, nous avons refusé de croire que la menace était à nos portes. C’est au moment même où la mobilisation générale a été décrétée que nous avons brutalement réalisé que notre existence ne pourrait pas continuer comme avant.
Le virus, ennemi invisible, a pris l’avion d’un continent à l’autre, empruntant les innombrables chemins de la mondialisation. Il a infecté silencieusement des organismes d’Européens, en commençant par un foyer en apparence insignifiant et circonscrit au nord de l’Italie. Pourtant, la città di Codogno, c’était déjà beaucoup plus près. Aujourd’hui, ce sont nos rues qui sont vides, tout le monde se tait et se terre. Des milliers de nos contemporains et concitoyens meurent sans pouvoir combattre, terrassés par les complications de la maladie. Celle-ci est complexe, anxiogène, vicieuse, traumatisante. Le Covid-19 traverse des porteurs sains sans qu’ils le sachent, puis terrasse au hasard des patients qui n’arrivent plus à respirer. Il n’y a pas de vaccin, pas encore, aucun antidote, seulement des soins, pour certains palliatifs, un danger immédiat pour les plus âgés et fragiles, une inquiétude permanente pour les personnes à risques. Entendre que dans nos hôpitaux hi-tech, des médecins débordés sont contraints de choisir qui traiter et qui laisser mourir, comme à la guerre, glace le sang. Des jeunes, solides, sans antécédents médicaux sont aussi fauchés en quelques jours. Hier, c’était Julie.
Notre espoir se résume alors à la survie, passer au travers, en réchapper, se rassurer, surtout ne pas croiser le chemin d’un postillon égaré. Nous sommes donc mortels, après avoir tout fait dans nos existences pour échapper à cette condition. Cependant, nous nions encore, bravant les recommandations, transgressant les interdits. Albert Camus, La Peste, 1947 : « Beaucoup cependant espéraient toujours que l’épidémie allait s’arrêter et qu’ils seraient épargnés avec leur famille. En conséquence, ils ne se sentaient encore obligés à rien. » Nous pouvons convoquer d’autres lumières pour expliquer notre confusion, par exemple la philosophe Mariane Chaillan sur France Inter, aujourd’hui : « Pourquoi voulons-nous tellement sortir ? La réponse de Pascal : « pour couvrir le silence ». Mais quel silence ? Celui de la mort qui vient, justement. Penser que la mort est là, qu’elle rôde, qu'elle nous attend, c'est terrifiant. On ne veut pas y penser. Alors, on danse, comme dirait Stromae. On s’agite. Alors, on entre dans ce que Pascal appelle « les divertissements ». Se divertir, c'est occuper son esprit pour ne plus penser. Être confiné aujourd'hui, c'est vivre ce paradoxe de devoir cesser d'agir, alors même que nous faisons face au péril de la mort qui rôde. C'est cela, notre épreuve. »
FD